Un article des Echos de ce jour un peu long, mais fort instructif...
"Les constructeurs respectent la norme Euro 6, mais pourraient être bien plus efficaces, selon une étude d'industriels.
Impacts sur les coûts, le C0 2 , la maintenance... Plusieurs raisons expliquent ces limitations, qui posent question.
En pleine affaire Volkswagen, certains crieront au scandale, d'autres jugeront la pratique totalement légitime d'un point de vue économique. Les systèmes de dépollution installés par les constructeurs sur les voitures de dernière génération (obéissant à la norme Euro 6) ne fonctionnent pas à plein de leur capacité. Pour différentes raisons, les industriels ont choisi d'en limiter l'efficacité au seul respect des tests d'homologation européens. Une pratique légale - ils respectent les normes -mais qui pose question, tant ces tests, effectués en laboratoire, reflètent peu la conduite réelle.
Décalages importants
Une étude publiée en mai dernier a mis en évidence ce décalage. Surprise, elle a été réalisée par une association d'industriels, l'AECC, qui regroupe des fabricants de système de dépollution, mécontents de voir que leurs solutions ne sont pas optimisées. L'étude se base sur les tests d'une grande routière, équipée d'un système de dépollution SCR, système le plus avancé adopté par BMW, Mercedes, PSA ou Volkswagen. Le véhicule, testé en Allemagne, a roulé sur une distance de 107 km à une vitesse moyenne de 57 km, avec une méthodologie de test embarqué qui sera appliquée en 2017 en Europe sous le nom de RDE. Une configuration plus réaliste que le cycle officiel (NEDC) qui teste la voiture sur 11 kilomètres à peine, à 33 km/heure. Bilan : alors que la voiture émet en théorie, selon NEDC, quelque 70 mg/km de NOx, le score réel est de 272 mg/km, soit 3,4 fois de plus que la norme Euro 6. Certes, le système de dépollution du constructeur permet de diviser par 6 le volume de NOx produit par le moteur. Mais le niveau de rejets réel reste impressionnant et surtout, pourrait être bien plus limité. En réglant différemment les paramètres électroniques, les auteurs de l'étude ont obtenu une émission de 111 mg/km à peine. Comment ? En programmant une injection plus fréquente d'Ad Blue. Ce liquide, à base d'urée, permet de convertir les NOx en eau et en azote, un mélange inoffensif. Pour être totalement efficace, cette solution doit toutefois être injectée à intervalle régulier. Les ingénieurs dépêchés par l'AECC ont ainsi réussi à augmenter l'efficacité du SCR de 74 % à 83 % rien qu'en augmentant les doses d'urée de 25 %. En clair, les équipements des constructeurs sont loin de tourner à 100 %.
Une pratique légale
Pourquoi les constructeurs limitent- ils l'efficacité d'un système qui coûte entre 300 et 500 euros ? « Les constructeurs respectent la norme. On ne peut pas attendre d'eux qu'ils aillent plus loin pour le plaisir alors que tout ceci a un coût. Regardez déjà tous les efforts réalisés : aujourd'hui, les voitures Euro 6 affichent des émissions de NOx de 80 mg/km, contre 250 en 2006 avec Euro 4 ! » explique un industriel. D'autres rappellent qu'il faut en garder sous le pied pour les normes à venir et pointent le lobbying des spécialistes de la dépollution, qui ont tout intérêt à rendre leurs solutions indispensables.
Plus largement, une plus grande utilisation d'Ad Blue leur pose d'autres problèmes. Pour obtenir les résultats d'émission de l'AECC, l'automobiliste devrait remplir son réservoir d'Ad Blue tous les 6.400 à 8.000 km (pour une contenance de 16 litres). « Les automobilistes ne veulent plus aller au garage tous les 8.000 km », dit un équipementier. Plutôt que de faire revenir régulièrement l'automobiliste en concession, PSA a dimensionné son système pour tenir 20.000 km. Autre inconvénient d'une augmentation d'Ad Blue : son impact sur le poids. « Si demain on augmente la taille du réservoir, avec une pompe plus grosse, on peut avoir un poids du système de 30 à 40 kilos, ce qui va dégrader la consommation », indique un autre équipementier. Même limite concernant l'autre technologie utilisée par les constructeurs, le NOx Trap. Pour être efficace, celui-ci nécessite des injections régulières de carburant. Là encore, la tendance est à limiter ces injections pour éviter de dégrader la consommation. « L'automobile, c'est un équilibre permanent entre le coût, le plaisir de conduite et les normes. Un seul paramètre qui bouge impacte les autres », glisse la même source.
Les écologistes à l'affût
Pour les associations écologistes, ces arguments sont de mauvaise foi. A 70 centimes le litre, l'Ad Blue n'est pas très onéreux et se trouve dans toutes les grandes stations service. La prochaine norme, Euro 6c, encore plus sévère, obligera mécaniquement les constructeurs à augmenter leur niveau d'Ad Blue ou à limiter les injections de carburant pour le Nox Trap. Surtout, certains s'interrogent sur la légalité des programmes des constructeurs. Certes, le sujet n'est pas comparable à VW, qui avait manipulé les tests via un logiciel. Mais, dans son règlement de 2007, qui préparait l'arrivée d'Euro 5 et 6, Bruxelles indiquait que les systèmes de dépollution devait être « conçus, construits et montés » pour se confirmer à la réglementation en « utilisation normale ». Le texte prohibait aussi l'utilisation de « defect device » ou « dispositif d'invalidation » qui « réduit l'efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu'elles se produisent lors du fonctionnement et de l'utilisation normaux des véhicules ». « On peut se demander si ces limitations ne s'apparentent pas à des "defect device" », juge François Cuenot, de Transport&Environment. Les constructeurs, eux, ne sont pas inquiets. "
Maxime Amiot, Les Echos
Julien Dupont-Calbo, Les Echos
Les termes à connaître
NOx. Si le diesel rejette différents types de polluants (particules fines, hydrocarbures…), la norme antipollution Euro 6, généralisée depuis septembre, cible la réduction des émissions d'oxyde d'azote, qui contribuent à la pollution de l'air.
SCR (réduction catalytique sélective). C'est le système de dépollution reconnu pour être le plus performant et qui convient notamment en utilisation routière. Il contient un réservoir d'AdBlue - solution à base d'urée - qui permet de transformer les NOx en azote et en eau, et qui se remplit tous les 20.000 kilomètres.
NOx Trap (piège à NOx). Cette deuxième solution, utilisée par Renault ou Ford, est efficace en milieu urbain. Elle reste néanmoins limitée. Ce qui implique pour les constructeurs de ne pas proposer des moteurs trop gourmands sous peine de ne pas respecter les normes.