Vincent, Alex, un édito des Echos de ce jour qui va dans votre sens...Intéressant :
Aubaine pour les pays consommateurs, la chute des cours du pétrole est une catastrophe pour les pays producteurs, en particulier au Moyen-Orient. Elle déstabilise leurs économies et leurs sociétés. Gare aux dégâts !
de Jean-Marc Vittori
C’est l’un des astres censés guider la France et l’Europe sur la voie de la croissance. Le pétrole moins cher augmente notre pouvoir d’achat, car nous payons moins cher notre essence et notre fioul. Pour la France, une vingtaine de milliards d’euros seraient ainsi libérés cette année, soit 1% du PIB. Mais c’est aussi un désastre. Le pétrole moins cher sape la velléité de nous tourner vers des sources d’énergie plus durables et moins polluantes. Et il sabre massivement les recettes des pays vendeurs de pétrole. D’après les derniers pointages du FMI, les pays du Proche-Orient engrangeront cette année près de 400 milliards de dollars de moins que l’année précédente. Or les pays exportateurs d’or noir sont souvent des pays fragiles, au cœur des tempêtes géopolitiques qui secouent la planète. Arabie saoudite, Irak, Russie, Algérie, Nigeria, Venezuela : les consommateurs d’or noir tentés par un lâche soulagement feraient mieux de se souvenir des conséquences du contre-choc pétrolier de 1986. En Algérie, des élections sur le point d’être gagnées par les islamistes et interrompues par un coup d’Etat, suivies d’une décennie de guerre civile. En Irak, un Saddam Hussein qui part à l’assaut du Koweït...
Négocié sur les marchés à peine au-dessus de 40 dollars, le baril de pétrole vaut aujourd’hui pratiquement deux fois et demi moins cher qu’il y a dix-huit mois. Sauf rupture brutale dans un pays producteur, rien ne laisse présager une reprise rapide des cours. La demande est plombée par ce qu’il faut bien se résoudre à appeler la crise des pays émergents, Chine en tête. L’Europe ne prend pas le relais. Aux Etats-Unis, la voiture à la mode est électrique – même si les ventes de la Tesla sont microscopiques, elles révèlent une vraie tendance. L’offre, elle, reste pléthorique. Cuves et supertankers sont remplis à ras bord. Les Américains sont revenus au coude- à-coude avec les Saoudiens et les Russes, premiers producteurs mondiaux, avec un pétrole de schiste qu’ils savent extraire à moins de 60 dollars le baril. Les Libyens veulent doubler leur production. Après la levée de l’embargo occidental, les Iraniens reviendront en force l’an prochain. Enfin, le marché de l’or noir ressemble beaucoup plus à un marché qu’il y a une décennie. Avec les pétroles non conventionnels, de nouveaux producteurs sont apparus. Il est devenu plus difficile de verrouiller le marché, ce que l’Arabie saoudite a entériné plus que décidé l’an dernier en ouvrant ses vannes en grand.
Pour les exportateurs de pétrole, il va donc falloir s’habituer à un pétrole pas cher, pour au moins quelques trimestres. Sacré défi pour des pays où l’or noir fait souvent plus de la moitié des rentrées budgétaires et les neuf dixièmes des exports ! Dans leurs dernières prévisions sur le Moyen-Orient , les experts du Fonds tirent la sonnette d’alarme. A 50 dollars le baril, tous les pays du Golfe sont en déficit budgétaire. Le point d’équilibre est à près de 100 dollars en Algérie, au-delà en Arabie saoudite. Résultat : le déficit budgétaire devrait atteindre cette année 14% du PIB en Algérie et 23% en Arabie saoudite ! « Il faut mettre en place dès que possible des stratégies de consolidation budgétaire, et les expliquer afin que les populations comprennent comment l’ajustement se fera », affirmait récemment Christine Lagarde, la directrice générale du FMI.
Certains pays pétroliers ont bien sûr accumulé d’impressionnantes réserves. Avec leur train de vie actuel, le Qatar, Koweit et les Emirats arabes unis ont de quoi vivre plus de vingt ans en puisant dans leurs comptes en banque. Mais l’Algérie et l’Arabie saoudite, bien plus peuplées, ont à peine de quoi tenir cinq ans - Riyad envisagerait d’ailleurs d’emprunter sur les marchés internationaux. La situation est encore plus tendue au Venezuela, au Nigeria ou au Yémen. Elle pourrait vite devenir critique dans le petit émirat de Bahrein, déjà très endetté, à majorité chiite mais dirigé par des Sunnites, et qui aura épuisé ses gisements de gaz et de pétrole d’ici à 2030.
Faut-il vraiment s’inquiéter ? Dans l ’une des meilleures études récentes sur la question, le chercheur américain Gregory Gause, professeur à l’université du Texas, est rassurant. Si la chute des cours du pétrole a contribué par le passé à l’effondrement de l’URSS, la chute du régime Suharto en Indonésie ou l’avènement de Hugo Chavez au Venezuela, « tous les régimes du Moyen-Orient ont survécu à l’effondrement des prix du pétrole au milieu des années 1980. » Même celui de Mouammar Kadhafi,chassé du pouvoir plus tard, quand le baril flambait.
Mais la donne a changé en trente ans. D’abord, la population a galopé. Le nombre d’habitants a pratiquement doublé en Iran et en Algérie, triplé en Arabie saoudite. Il faut donc plus d’argent. Ensuite, le « printemps arabe » a rebattu les cartes. Les gouvernants ont acheté la paix sociale au prix fort. Et pour faire des économies, il est plus difficile de supprimer les allocations familiales ou fermer un hôpital que d’ annuler un projet d’autoroute dans le désert. Les réseaux sociaux sont aussi prêts à s’emballer. Enfin, l’Amérique est moins présente au Moyen-Orient depuis que depuis la montée en flèche du pétrole de schiste. L’Europe, elle, doit au contraire renforcer sa vigilance. Comme le résumait début octobre Rem Korteweg, un chercheur néerlandais du britannique Centre for European Reform, « l’arc autour de la périphérie orientale et méridionale de l’Europe, largement composé de pays exportateurs de pétrole, deviendra plus instable si la baisse des prix pétroliers perdure. Ceci pourrait mener à davantage de conflits régionaux, un risque accru de terrorisme, de nouveaux flux de réfugiés vers l’Europe. » La planète joue au bonneteau des factures : moins d’argent pour le pétrole, mais plus d’argent pour l’humanitaire et la sécurité.
Jean-Marc Vittori