Enquête publiée dans les Echos (Par Cedric Fréour de POA) :
"Les six révolutions de la voiture électrique
Si des craintes subsistent encore sur leur autonomie et leur temps de recharge, la part de marché des automobiles 100 % électriques a triplé en Europe en deux ans. Au dernier Salon de Munich, elles régnaient en maître. Les raisons de cette révolution.
Par
Cédric Fréour
Publié le 1 oct. 2021 à 6:01Mis à jour le 1 oct. 2021 à 9:05
En 2016, face à une industrie auto peu encline aux bouleversements, Mary Barra, présidente de General Motors, avait conclu sa présentation de la Bolt, première petite Chevrolet électrique, par ses mots : « L'industrie automobile va connaître davantage de changements dans les dix ans qui viennent que durant ses cent premières années d'existence. » Nous y sommes. Au nez et à la barbe du trio Audi, BMW et Mercedes, Tesla, pionnier de l'électricité , a ainsi installé sa Model 3 , dès son lancement, comme un best-seller planétaire parmi les berlines premium (le phénomène signe en outre la dixième meilleure vente en France toutes énergies confondues au premier semestre 2021 !).
Les annonces se bousculent
Même succès pour la nouvelle Fiat 500 électrique , dont le nombre de commandes supplante déjà celles de sa prédécesseure à moteur thermique (pourtant moins chère et encore au catalogue). Sans compter les annonces d'une « bascule au tout électrique » qui se bousculent désormais en provenance de la plupart des constructeurs. Derniers en date : Audi et DS (qui promettent une gamme entièrement électrifiée d'ici à trois ans) et, surtout, Alfa Romeo, qui vient d'annoncer sans équivoque et sans broncher, par la voix de Jean-Philippe Imparato, son directeur général, que ses « cuore sportivo » - en référence à ses légendaires motorisations sportives - renonceront définitivement à l'essence en 2027.
Le début d'une toute nouvelle ère. Et la fin d'une époque. Celle où « les toutes premières voitures électriques étaient dessinées comme des poissons pour se faire remarquer », s'amuse Arnaud Belloni, directeur marketing de Renault. Exit donc, notamment, les feux globuleux de la Nissan Leaf (pionnière bizarroïde de l'aventure électrique en 2010 que seuls les geeks semblaient apprécier), place désormais aux modèles électriques dessinés pour séduire. A tel point qu'au dernier Salon de Munich - le premier rendez-vous international digne de ce nom depuis l'annulation du Salon de Genève en mars 2020 - on ne comptait plus les silhouettes entièrement dépourvues de cylindres qui attiraient spontanément le regard.
Liberté stylistique
On songe à la nouvelle Renault Megane , fluide à souhait et aux quatre roues rejetées judicieusement dans les coins ; une liberté qui rappelle les bouleversements stylistiques signés par l'Espace ou la première Twingo. On pense aussi à la Hyundai Ioniq 5, formidable de modernité tout en jouant avec des angles des années 1970. On pense enfin à la Mercedes EQE, équivalent électrique de l'impressionnante berline Classe E dont les écrans - les plus grands du monde - font passer la planche de bord d'une Tesla pour une antiquité.
Top 5 des voitures électriques en 2021 en France
en nombre de véhicules vendus
1. Tesla Model 3 : 15.668
2. Renault Zoe : 13.122
3. Peugeot e-208 : 11.064
4. Fiat 500e : 5.998
5. Renault Twingo ZE : 5.184
Les raisons d'une telle dynamique ? Les marchés se sont développés et ont mûri, notamment grâce au risque pris par Tesla il y a dix ans « d'imposer des voitures électriques qui ne souhaitent pas se différencier exagérément » commente Philip Nemeth, professeur en design automobile. Et puis les designers, après avoir longtemps snobé ce nouveau type de véhicules, « parce qu'ils se vendaient peu et procuraient sans doute moins de reconnaissance, trouvent cela de plus en plus cool » ajoute l'expert. Il faut dire que les modèles électriques disposent de batteries qui prennent beaucoup moins de place qu'un bloc-moteur thermique avec son réservoir, ses filtres, son système de refroidissement, ses échappements.
« Les designers jouissent ainsi d'une liberté bien plus importante et inédite », commente Fabrice Izzillo, directeur des nouveautés électriques chez Renault. Résultat, depuis le début de l'année, les concepts jaillissent d'absolument tous les bureaux de design : réinterprétation de bons souvenirs populaires en France (futures R5 et 4L chez Renault), hommage aux silhouettes Porsche en Corée (formidable Hyundai Prophecy !), créations débridées en Chine (charmante Ora Cat et très moderne MG Marvel R), voire résurgence d'un passé magnifié en Allemagne (avec l'adorable Opel Manta « rétrofitée »). L'inspiration repart d'autant plus vite que les batteries signent désormais des records de distance entre chaque recharge.
Bientôt 1.000 km d'autonomie
Plus de 800 km d'autonomie d'une seule traite (836 précisément) ! Un chiffre autrefois réservé aux diesels les plus méritants. C'est pourtant bel et bien la performance dûment officialisée le 16 septembre dernier par Lucid Air, nouveau concurrent américain de Tesla , qui s'adjuge ainsi le record mondial de distance parcourue par un véhicule électrique de série. Forcément rassurant pour tous ceux qui craignent de ne pas pouvoir partir très loin. D'autant que la course au record est lancée : Mercedes, avec son inédite limousine EQS et ses 780 km promis, n'est pas passée loin du sacre, tandis que la future Tesla Roadster et, plus encore, les prochaines nouveautés de Nio (constructeur chinois dont les modèles interpellent d'ores et déjà par leur avance technologique) visent désormais la barre symbolique des 1.000 km.
Et ce progrès ne se limite pas aux seules voitures dépassant 100.000 euros. Chez DS , qui vient d'être choisie pour devenir la première marque 100 % électrique du groupe Stellantis, on planche sur une plate-forme équipée d'une batterie de 104 kWh offrant une autonomie électrique de l'ordre de 700 km. Même volonté d'accroître le rayon d'action chez Renault, dont les 470 km de la nouvelle Megane électrique (soit mieux qu'une Mercedes EQC et autant qu'une Audi e-Tron GT, pourtant deux fois plus onéreuses) garantissent déjà un trajet Paris-Lyon aussi rapide qu'avec une automobile thermique.
Vers une réduction du temps de charge
Reste la question du temps de recharge. A raison d'un débit (maximum) de 3 kWh sur la prise du garage (la même que celle de la machine à laver), il faut certes plus d'une bonne nuit pour venir à bout de batteries totalisant de 40 à 100 kW de capacité. Mais l'on peut opter pour une installation « boostée » à 7 kWh (1.500 euros en moyenne l'installation à domicile) et compter, de plus en plus, sur un réseau de « super-chargeurs » publics promettant une recharge en une trentaine de minutes sur autoroute.
Il faut dire qu'il y avait un peu de travail… Cet été, via un message sur les réseaux sociaux, Herbert Diess, président du groupe VW, avait ainsi résumé son arrêt à une station Ionity (la plus en pointe et répandue en Europe) : « Trop peu de points de charge sur la station ! Seulement quatre - bien sûr, tout le monde s'arrête au centre commercial. Pas de toilettes, pas de café, une borne HS, triste affaire. »
Le message est bel est bien passé. Le rythme d'installations s'accélère, en particulier en France, qui est déjà passée de 32.700 à 43.700 points de charge en l'espace de six mois en 2021. L'objectif visé : 100.000 unités pour tenir les engagements gouvernementaux. Par ailleurs, les constructeurs s'activent pour réduire encore le temps de recharge. La nouvelle Kia EV6 promet ainsi qu'une quinzaine de minutes suffira pour passer de 20 à 80 % de charge sur des bornes ultrarapides. Il faut en outre faire confiance aux conducteurs pour gérer leur autonomie, insiste Fabrico Izzillo chez Renault : « On a été surpris de constater que les premiers utilisateurs de Zoe, il y a bientôt dix ans, effectuaient davantage de kilomètres quotidiens qu'un utilisateur de Clio ! »
Des véhicules réellement plus propres
Les conducteurs de voitures électriques ont souvent fait ce choix par souci de l'écologie. Mais est-ce réellement l'assurance de polluer moins ? Le débat sur les réseaux sociaux fait souvent rage. Il est pourtant définitivement tranché : « Y compris lors du pire scénario, lorsque la batterie est fabriquée en Chine et la voiture rechargée à partir d'un mix énergétique polonais, l'un des plus polluants d'Europe, la voiture électrique demeure plus propre que n'importe quel modèle thermique », est venue conclure l'ONG européenne Transport & Environment dès 2020.
Et il ne s'agit pas de quelques kilos de dioxyde de carbone en moins : le bilan sur l'ensemble du cycle de vie « peut être deux à trois fois inférieur à celui d'un véhicule diesel ou essence de taille comparable », insistent les experts. Un verdict conforté en août dernier par une publication de l'International Council on Clean Transportation (ICCT) sur les performances des voitures électriques en matière d'émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble du cycle de vie. La messe est dite.
Durable et confortable
Des résultats qui ont poussé BMW à viser encore plus loin. En septembre à Munich, le constructeur bavarois exposait son concept Circular qui, jusqu'à sa batterie, a recours uniquement à des matériaux recyclés et recyclables. Des efforts et une durabilité qu'Audi souhaite également développer au cours de la prochaine décennie. « Nos nouveautés seront dotées de plates-formes informatiques évolutives - comprenant un système d'exploitation standardisé et une connectivité cloud - qui feront évoluer nos véhicules à distance, tout au cours de leur vie, sans besoin de passage en atelier », remarque Oliver Hoffmann, à la tête de l'ingénierie du constructeur aux anneaux.
Premiers modèles à en bénéficier, les remplaçantes des grandes berlines A6, A7 et A8, dont le concept GrandSphere qui prouve en outre que l'informatique et l'électricité n'accoucheront pas nécessairement d'autos sans âme ou moins excitantes à conduire que la cohorte de légendes automobiles nées durant le XXe siècle. Grands écrans, absence de volant (ils s'escamoteront lors des phases de « conduite autonome » d'ici à 2030), plancher plat et silence de fonctionnement pourraient même séduire tout autant que les vrombissements d'un V8 d'autrefois !
Sens de l'accueil
C'est en tout cas l'état d'esprit que veut insuffler Laurens van den Acker, patron du design du groupe Renault : « On va concevoir de nouvelles vraies belles bagnoles, tout en étant plus efficaces et pratiques ! » Ainsi, les inédites boiseries qui embellissent l'habitacle de la nouvelle Megane cohabitent avec des rangements (40 l) plus nombreux et plus volumineux que ceux offerts par le nouveau Dacia Jogger (modèle thermique), pourtant pas le moins accueillant de la planète avec ses sept places ! Même sens de l'accueil à bord du BMW iX qui orne sa console centrale rétroéclairée de boutons sertis de cristal et de chrome façon boudoir Louis XVI, tandis que chez VW on imagine, avec l'ID.2, un buggy aux accents californiens doté d'une capote de toile pour remplacer (autour de 20.000 euros) quelques citadines thermiques du groupe en fin de course. Bref, les modèles électriques n'ont pas fini d'étonner les amoureux d'automobiles... et les autres. Au premier semestre 2021, ils dépassaient 7 % des livraisons de véhicules neufs en Europe (16 % des immatriculations en France) ; trois fois plus qu'en 2019. Et ce n'est qu'un début.
L'électrique en dix dates
1834 Le tout premier modèle… Robert Anderson, un homme d'affaires écossais, a été le premier à imaginer un véhicule électrique. Les premières voitures électriques voient le jour en 1884 sous l'impulsion de Thomas Parker puis de William Morrison en 1891.
1899 La Jamais Contente entièrement électrique, conçue et pilotée par le Belge Camille Jénatzy, est la première automobile au monde à franchir les 100 km/h.
1900 Une voiture sur deux est électrique. Silencieuses et faciles à démarrer, celles-ci manquent d'autonomie pour les longs périples… Elles s'effacent au profit des modèles à essence.
1998 Premières Peugeot 106 et Citroën Saxo électriques. La ville de La Rochelle en commande 50 ; c'est Autolib' avant l'heure ! Mais trop lourdes et incapables de dépasser 70 km d'autonomie, elles n'obtiennent pas le succès escompté.
2003 Naissance de Tesla Motors, la première marque 100 % électrique. Le Roadster, son premier modèle, voit le jour en 2008 ; il s'écoulera à 2.680 exemplaires en quatre ans.
2009 Lancement de la Nissan Leaf, première automobile électrique de grande série du XXIe siècle, elle se vend à plus de 300.000 exemplaires en huit ans.
2012 Lancement de la Tesla Model S, premier modèle électrique de série à offrir plus 600 km d'autonomie.
2013 Lancement de la Renault Zoe, premier best-seller européen.
2018 Fin d'Autolib'. Le système pionnier en matière d'automobiles partagées créé en 2012 croule sous les déficits. Les 4.000 voitures électriques parisiennes (dépourvues d'ABS) tirent leur révérence sans jamais avoir vraiment trouvé leur public.
2021 La Lucid Air franchit la barre des 800 km d'autonomie."